Archange Michaël

Posted by on Dec 30, 2012 in Iconographie | Comments Off on Archange Michaël

Tempera

30 x 36 cm

Collection privée

« … Or ici même l’avicennien chrétien ne fait que mettre en application la théorie des deux faces de l’âme ou des deux puissances intellectives, rappelée ci-dessus. Bien loin que l’idée de la survie personnelle s’en trouve compromise, c’est tout au contraire en proportion de son aptitude à se tourner vers l’Intelligence agente et à se conjoindre à elle, qu’en doctrine avicennienne l’être humain décide de son sort et de son devenir posthume. Se tourner vers l’Intelligence agente  (faire route avec Hayy ibn Yaqzân) c’est l’acte préparatoire, et le seul, qui incombe à l’intellect contemplatif ; aussi l’organe d’immortalité dans l’âme humaine, l’ « ange terrestre » ou ange virtuel que l’Intelligence agente peut, dans cette mesure même, faire passer en acte.

C’est pourquoi il n’y a ni paradoxe ni invraisemblance métaphysique à dire que plus elle se plonge dans le sensible, plus notre âme s’approche de l’intelligible, puisque c’est à l’occasion de sa perception des choses singulières, que l’Intelligence irradie sur elle la pure forme de lumière intelligible. Il ne semble point qu’il convienne d’opposer cela, comme une inconséquence, au platonisme qui admettait une simple « excitation » de la part du sensible, provoquant l’intellect à se ressouvenir des connaissances que les Idées avaient primitivement causées dans notre âme. C’est que justement les Idées platoniciennes ont fait place chez nos philosophes à l’angélologie, et toute la différence est peut-être là. En termes sohravardiens, chaque chose ou espèce sensible est la « théurgie » de son Ange (ou de son rabb al-nû) ; l’espèce sensible ne détourne pas de l’Ange, mais conduit au « lieu » de la rencontre, à la condition que l’âme recherche celle-ci.

C’est qu’il y a plusieurs manières de se tourner vers le sensible. Il en est une qui simultanément et comme telle, se tourne vers l’Ange. C’est alors la transmutation du sensible en symboles, la constitution du « ‘âlam al-mithâl », bref la vision même de nos Récits visionnaires. Et cela, c’est « faire route avec l’Ange ». Il en est une autre qui pour autant se détourne de l’Ange ; c’est le cas dont parle Hayy ibn Yaqzân, celui où l’âme s’abaisse à servir de monture à ses mauvais compagnons. Les formes que reçoivent ces âmes-là sont des vestiges appauvris et fugitifs. Elles ne sont pour l’âme ni cette connaissance de soi qui ouvre la connaissance de l’Ange, ni cette montée vers l’Orient  qu’explique le commentateur de notre Récit. Quant à l’ « intellectus practicus », ce n’est pas lui l’organe d’immortalité. Il est l’ « ange du côté gauche » qui écrit sous la dictée de l’intellect contemplatif ; il agit sur les puissances vitales et fait en sorte qu’elles puissent servir pour le pèlerinage vers l’Orient. A la mort, « intellectus practicus » a terminé sa mission. C’est pourquoi il est vrai de dire qu’alors l’âme s’en « sépare ».

Qu’en sera-t-il d’elle alors si elle n’a pas exercé son « intellectus contemplativus » , si elle ne s’est pas rendue apte à être la compagne de l’Ange en son « Mi’râj » « post mortem » ?

Ici, il faudrait répondre par toute l’eschatologie avicennienne ou sohravardienne. L’issue et l’enjeu peuvent apparaître comme inacceptables pour toute doctrine qui considère l’immortalité de l’âme comme un statut de nature, sous la seule réserve de décider si cette âme « méritera » l’immortalité bienheureuse ou la condition des réprouvés.

En fait, la perspective et l’enjeu sont peut-être encore plus graves. Il peut arriver à une âme de « mourir » comme peut mourir une âme, en retombant au-dessous d’elle-même, de sa condition d’âme humaine : en actualisant en elle la virtualité bestiale et démoniaque. C’est cela son enfer, celui qu’elle porte en elle-même, – de même que sa béatitude est exhaussement au-dessus d’elle-même, éclosion de sa virtualité angélique. La survie personnelle ne peut alors être pensée comme prolongeant purement et simplement le statut de la condition humaine, les « dispositions acquises ». Celles-ci concernent sans doute ce que nous appelons la « personnalité ». Mais « khôdî-e khôd“, l’ipséité du soi-même, la personne essentielle, en son devenir posthume et en son immortalité, dépasse peut-être sans mesure la « personnalité » d’un tel fils d’un tel… »

 Extrait de « Avicenne et le récit visionnaire », Henri Corbin, coll. « l’île verte », éd. Berg International, pp. 129,130.

en reflet de biais